Un webdocumentaire est avant tout un documentaire.
by Igal on 7/06/2010Il est intéressant de s’arrêter sur les critiques, formulées ci et là, à l’encontre du format web-documentaire. L’une d’elles, savamment défendue par le rédacteur en chef de lexpress.fr Eric Mettout, conteste l’originalité proclamée du genre, et l’importance de son apport au journalisme sur le net, dont chacun sait maintenant qu’il n’est pas au top de sa forme.
Dans un billet sur son blog publié suite à la sortie du réputé Prison Valley, et en réponse aux commentaires qui ont suivi, Mettout, refuse de voir dans le “genre” web-documentaire une innovation apte à répondre à la crise du journalisme. En fait, il conteste même le caractère véritablement novateur de ce type de contenus.
Malgré tout le bien qu’on pense du web-documentaire en général, et bien que nous ayons nous-même décidé d’y consacrer une grosse partie de nos emplois du temps, on est bien obligé de reconnaître à Mettout une lucidité bienvenue au milieu des louanges. Non, le web-documentaire n’offre effectivement rien de véritablement révolutionnaire si on le compare à l’offre médiatique pré-existante. Mais voilà, le truc c’est qu’ON S’EN FOUT ! Ce qui importe, c’est qu’un web-documentaire est avant tout, eh oui, un documentaire. Et, comme le rappelle Joël Ronez, boss du web chez Arte en commentaire le documentaire est avant tout un genre cinématographique d’auteur, dont la naissance se confond avec celle du cinéma de fiction, au sein duquel se sont créées plusieurs chapelles, et surtout, qui n’a pas arrêté d’évoluer au gré des possibilités techniques de l’époque. Ce qui est vraiment nouveau, ce n’est pas tant le
web-documentaire en lui-même, que tout ce qui l’entoure, et qui en fait une évolution du genre à ne pas négliger.
En premier lieu, évidemment, il y a les possibilités techniques d’aujourd’hui, qui permettent, si correctement maniées, d’adapter le genre documentaire à la nature du réseau. Depuis la naissance du genre documentaire, tout n’a toujours été question que de dispositif : les manières d’écrire, de tourner, de monter, sont les constituants essentiels d’un documentaire audiovisuel, à mettre sur le même plan que le fond. D’où la nécessité d’avoir un auteur aux manettes, capable de faire et d’assumer ces choix créatifs. Le reportage au contraire, standardise la forme (le fameux ton journalistique), pour ne laisser au journaliste, qui doit produire en flux tendu, que la responsabilité du fond (en télé, on dit qu’un reportage est un contenu de flux et qu’un documentaire est un contenu de stock). Ainsi, si les possibilités techniques d’Internet, et les différents moyens de production permettent d’élaborer un dispositif apte à valoriser encore mieux un sujet, un documentaire sur Internet, ça coule plutôt de source.
Il faut ensuite considérer la gueule de l’offre médiatique sur Internet, telle qu’elle s’est développée depuis dix ans : une information éclatée en milliers d’articles quotidiens, rapidement périmés, dont une grande partie couvre les mêmes sujets, mise en forme dans les mêmes CMS. Que ce soient les sites d’hebdomadaires, de quotidiens, de mensuels ou même de radios, nombreux sont ceux qui ont adopté, de gré ou de force, cette manière de délivrer l’information, avec, pour les propulser encore plus puissamment, d’abord les flux RSS, puis Twitter et Facebook. Je ne veux pas me lancer dans une analyse psycho-collective à deux sous, mais certains ont déjà pas mal parlé des effets qu’a cette surabondante offre médiatique sur notre perception du monde, et je suis loin d’être le seul à pouvoir témoigner de la frustration qui en découle. Le web-documentaire, s’il aborde ses sujets avec recul et profondeur, s’il permet de diminuer l’infobésité, joue alors un rôle salutaire, et devient de fait nécessaire.
Enfin, qu’ils soient blogueurs (comme Mettout), lol-journalistes, photographes, ou simplement “plumes”, on constate que les (bons) auteurs occupent une place prépondérante sur le réseau. Deux des mots qui buzzent chez les journalistes depuis quelques temps sont là pour en témoigner : storytelling et personal branding. Savoir raconter une histoire, l’intégrer dans l’Histoire, cerner des personnages, soigner son style, confère au journaliste-auteur une aura évidemment plus attrayante pour le lecteur que celle du batônneur de dépêches. D’ailleurs, les mecs de l’AP se sont rendu compte que le fact-checking faisait plus de clics que les simples articles d’actualité classique, parce qu’il raconte une histoire sur les gens derrière les sources de l’information officielle et les met face à leurs responsabilités, et parce qu’il donne donc un sens plus parlant qu’une retranscription de communiqué. Quand des auteurs réussissent par le talent à faire émerger du flux, des informations sérieuses et originales, il y a franchement de quoi se réjouir.
Pour résumer : parce que la technique permet enfin d’assortir les contenus de vraies fonctionnalités et leur donne une jolie gueule, parce qu’on en a marre de la malbouffe informative et enfin parce qu’on aime toujours autant d’amour les auteurs, pour toutes ces raisons, le web-documentaire jouit d’un succès d’estime véritable.
Oui mais, rétorquent Mettout et tant d’autres, si on ne touche pas la redevance comme Arte, on a besoin de vingt millions de VU pour rembourser les coûts de production, et c’est loin d’être le cas. Certes, mais c’est sans compter sur la baisse constante du coût du matériel de production (5D Mark II mon amour), et surtout sur les revenus qu’engrangeront les web-documentaires quand, assortis de publicités, ils seront disponibles sur TOUS les terminaux. Là encore ils ne feront pas des millions de VU, mais la niche d’internautes, mobinautes, TVnautes, qui les consulteront, la tête toujours plus proche de l’écran, constitueront une audience hautement qualitative pour les annonceurs qui, on peut le prédire, payeront un prix croissant pour les toucher si directement. Sans parler des contenus en consultation payante.
Alors il est permis d’espérer que les web-documentaires, même s’ils ne ressemblent pas tous à Prison Valley, trouvent toute leur place au sein de l’offre médiatique, aident (tout comme les réseaux sociaux, le data-journalism, le link-journalism, le journalisme hyper-local) l’information sur internet à se sortir de cette morose époque, et permettent à des auteurs toujours plus nombreux d’en vivre. On pourrait nuancer mille fois tout ça, rentrer dans le détail des coûts de production et compétences requises pour produire un vrai contenu, s’attarder sur les nombreuses questions de forme, on le fera régulièrement dans ce blog, mais vous l’aurez compris, le but ici est simplement de rester optimistes. Au risque d’être niais peut-être, mais optimistes quand-même.
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