Le webdocumentaire était mort, quand soudain

by Igal on 13/09/2010

Steve Job

J’étais fébrile devant mon écran, plus fanboy qu’à mon habitude, attendant patiemment le “one more thing” des grandes Keynotes, l’espérant salutaire, fier mais inquiet de laisser moi aussi entre les mains de Jobs un peu du futur de notre business. Quand j’ai vu “hobby” remplacer “thing” derrière papy Steve, l’agacement a pris le pas sur l’excitation. Hobby ?! Le portage sur TV de l’expérience utilisateur Apple peut-il éternellement rester un hobby ?

Oui, j’en attendais beaucoup de l’AppleTV. Visiblement trop pour les ambitions actuelles de Cupertino. Mais l’idée d’un AppleTV Store immédiatement disponible était-elle irréaliste, ou pas ? D’une part, la Google TV, déjà dans les starting blocks, est une nouvelle émanation d’Androïd. Elle proposera donc une place de marché, qui devrait rapidement se remplir d’applications dédiées à l’écran du salon (pas autant qu’on peut imaginer cela dit, voir plus bas). Mais surtout je ne comprend pas qu’Apple ne souhaite pas réitérer sur AppleTV l’exploit accompli sur iPhone/iPad de concurrencer les acteurs existants, dans le domaine du jeux vidéo pour ne citer que lui.

Car les avis convergent comme jamais. De Kevin Rose, fondateur de Digg, pour qui l’AppleTV devait tout changer, à Chris Anderson, qui sait bien que le web n’est pas vraiment mort, mais qui voit dans les applications d’efficaces remplaçantes à beaucoup de services sur navigateurs, il n’était pas interdit d’imaginer Apple inaugurer pour son AppleTV un nouvel eldorado pour développeurs iOS. Mais non. En tout cas pas encore.

Pourtant, il est évident l’intérêt des contenus participatifs, documentaires interactifs, fictions hybrides, jeux vidéos en réseau ou oeuvres expérimentales connectées, qu’on pourrait télécharger sur un AppleTV Store. Le web, support du flux, est chantre du zapping, de l’éparpillement, et la quantité des services et contenus disponibles est un frein pour l’attention soutenue. Cette banlieue luxe que crée Apple avec ses terminaux est au contraire un efficace réceptacle pour les œuvres d’auteur et autres contenus de stock.

L’exemple de l’écrivain japonais Murakami est éloquent. Le géniteur de l’excellent “Ecstasy” sortira sa dernière œuvre “La Baleine Chantante” en avant-première sur iPad, agrémentée de contenus vidéos et d’une musique composée pour l’occasion par Riuichi Sakamoto. Dans le domaine du documentaire, on connait aussi “Congo, la paix volée”, reportage multimédia que France 24 a sorti il y a quelques temps uniquement sur iPad, loin d’être révolutionnaire mais dont l’exemple est intéressant en soi.

Imaginons que demain, un grand du documentaire, mettons Michael Moore, sorte un contenu prévu pour une utilisation connectée, et une interaction sur le téléviseur, offrant donc une autre interactivité que celle d’un simple menu DVD. Un truc joli et polémique, intégrant interactivité et participatif, connecté au réseaux sociaux, avec des contenus ajouté tous les mois etc. Combien serions nous, dans le monde, à payer 3, 5 ou 7$ pour en profiter ? (J’évite exprès ici, les questions des modèles de financement que soulèverait tel contenu, je n’ai que trop conscience de la complexité de la chose).

D’autant qu’avec un si gros parc de terminaux iOS (iPhones, iPads, iPods Touch), comme autant de télécommandes prêtes à l’emploi, les meilleures télécommandes jamais imaginées en fait, AppleTV pouvait effectivement devenir une géniale machine à jouer et à se cultiver, plutôt que de n’être qu’un média center connecté à iTunes.

Jouer et se cultiver, je ne crois pas que le web soit idéal pour ça. Jouer et se cultiver sont des activités qui prennent un temps et une attention que le web dérobe. Je ne sais pas vraiment si je crois en la multiplication de projets massifs comme Prison Valley, lequel malgré ses (nombreuses) croustillances interactives inspirées du jeu vidéo et des bonus dvd, n’a pas rencontré le succès espéré, et a davantage été consommé comme un documentaire chapitré que comme un objet interactif et participatif en soi.

Et puis sur le web, combien sommes nous à lire de longs articles ? Moi j’utilise Instapaper sur iPhone pour les lire correctement formatés où je veux et quand j’ai le temps. Combien sommes nous à regarder de longues vidéos, assis derrière un écran d’ordinateur ? Je préférerais de loin pouvoir regarder la Ligne Jaune sur un téléviseur quand je le veux. Le format long, en vidéo plus encore qu’en texte, mérite écrin à sa mesure.

A ce sujet, anecdote. En septembre 2001 j’installais pour la première fois un modem ADSL dans mon studio d’étudiant. 512 kbps presque entièrement dédiés au téléchargement pirate de musique, de jeux et de divx (la Cité de la Peur, Las Vegas Parano et Wolfenstein pour commencer, honte à moi). Neuf ans plus tard, je n’ai plus aucune envie de me farcir la gravure ou l’archivage par genre d’une bibliothèque de je ne sais combien de fichiers vidéos, ou morceaux de musique. Par contre je me constituerais bien une bibliothèque de documentaires interactifs ou pas, achetés légalement (si tant est qu’ils soient accessibles facilement et pas chers), consciencieusement rangés dans un dossier ad hoc, “streamables” à tous moment depuis une interface à la iOS sur mon téléviseur.

Pour l’instant je me contente du petit disque dur de ma Freebox v5 pour stocker mes téléchargements vidéos. Niel, président d’Illiad, a bien senti le truc : si on se décidait chez Free à adopter Google TV comme système d’exploitation, comme la rumeur le suggère, 4 millions d’ abonnés deviendraient autant d’acheteurs potentiels d’applications et de contenus interactifs adaptés à la TV (Quoi ? le Free Store ? LOL).

Mais, et c’est sa différence d’avec Apple, Google dépend trop du web pour ne proposer que des services hors-web sur Google TV, ou pour le faire avec autant de brio qu’Apple le ferait. Chez Google on préfèrera donc voir les télénautes utiliser le web dans un navigateur Chrome modifié plutôt que des applications pour accéder aux contenus et services. Avec leur business model, ça se comprend.

Pour finir, je suis simplement convaincu de la supériorité d’Apple sur Google en matière d’ergonomie et d’expérience utilisateur générale.

Pour toutes ces raisons, j’imaginais qu’Apple, en faisant de l’AppleTV un chouette terminal iOS de salon muni d’une place de marché, allait augmenter l’expérience TV aussi ambitieusement que Google souhaite le faire, et aussi fortement qu’elle a augmenté l’expérience téléphone portable et magazine avec iPhone et iPad. Ce faisant, j’imaginais, en caricaturant un peu, qu’elle donnerait un coup fatal au webdocumentaire, ouvrant la porte à un type “augmenté” de contenus d’auteurs à consulter sur téléviseur.

Mais voilà, Jobs ne croit visiblement pas à l’interactivité sur la TV. En tout cas pas encore.

En attendant, la Google TV supportera Flash, elle. Le webdocumentaire pourrait du coup avoir encore de beaux jours devant lui…

    Commentaires


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    1. 13/09/2010narboo says:

      Merci pour cette article richement documenté.
      Je ne connais pas bien l’appleTV. Il me semble toutefois que la convergence IT/TV tant annoncée a perdu de son attrait. La télé se fait lentement mais surement tailler des croupières par des supports moins passifs, plus ouverts. Ce mouvement est encore accentué justement avec les tablettes, dont l’ipad. Et je doute que la GoogleTV change la donne dans ce secteur. Curieusement et de plus en plus, ce ne sont pas les concepts qui dirigent les usages aujourd’hui, mais les « devices ». TV et ordinateur sont clairement en opposition aujourd’hui pour le public, couvrant 2 temporalités et 2 usages peu compatibles. Je doute que la tendance s’inverse.

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