Après quelques années passées à travailler en presse écrite, en pige puis en salariat, j’ai décidé de tenter l’expérience du documentaire, à travers notamment des projets destinés au web. Le plus surprenant n’est pas tant que ce changement de cap déconcerte parfois mon entourage, mais moi-même ! Ma démarche est en effet un chemin d’initiation beaucoup plus intense que ce que j’avais peut-être imaginé.
Car pour qui est originaire de la presse écrite quotidienne, et de surcroît économique – ce qui implique de se pencher davantage sur des entreprises et des mécanismes que sur des destins d’hommes – l’exercice du documentaire n’est pas intuitif.
Il n’est pas intuitif car les sujets sont autres : il faut, pour les déceler, laisser son regard s’attarder sur des phénomènes différents. Des phénomènes plus discrets, insidieux, mais aussi plus bruts et vivants.
Les contacts, également, sont autres et les possibilités de narration beaucoup plus variées. Ces différences impliquent de prendre du temps : du temps pour appréhender la profondeur des histoires, se les approprier ; du temps pour s’investir et faire siens les sujets. Lorsque l’on traite d’actualité quotidienne au contraire, le temps est un ennemi : il faut être “dans” l’actu, et si possible le premier. Ce rapport au temps singulier suscite une certaine frustration au journaliste qui s’essaie à la discipline documentaire. La frustration de ne pouvoir faire vite et bien, et surtout de devoir attendre pour obtenir la satisfaction du travail bien fait.
Un “travail bien fait” implique par ailleurs que l’on aura quelque-chose à dire, un point de vue à donner. Le journaliste devient alors auteur, et n’est plus seulement celui qui décrypte pour mieux transmettre des informations. Adopter un point de vue d’auteur est à l’opposé de ce que le journaliste d’actu s’efforce le plus souvent de respecter : l’objectivité, érigée en précepte ! Et ce d’autant que, comme le rappelle Olivier Crou, dans un récent billet sur le webdocumentaire où il cite Richard Copans (1), “il doit y avoir une force dans l’idée, une volonté de raconter une histoire, l’affirmation d’être l’unique personne à pouvoir la raconter, la seule à être le « passeur » de cette réalité, la seule à pouvoir toucher les autres avec cette histoire particulière.”
En presse quotidienne, cette pensée n’est pas à l’esprit du journaliste, tout-au-plus animé de l’ambition de faire mieux que les autres, mais pleinement conscient qu’il n’est pas le seul à couvrir une actualité.
Bien différent donc de celui qui consiste à traiter de l’information brute, l’exercice d’écriture documentaire n’est définitivement pas intuitif, mais il est passionnant, et son auteur un passionné.
Réussir un tel apprentissage nécessite qu’on s’y essaie avec application car ici, comme bien souvent, la méthode ne vient que par l’exercice.
Pour raconter ces histoires, une sensibilité et un regard particulier sont-ils par ailleurs nécessaires ? Très certainement, mais ce qui reste à savoir, c’est si ces deux choses peuvent s’acquérir ou ne peuvent-être qu’innées ? Ou plus prosaïquement, si le documentaire est à la portée de n’importe-quel journaliste ?
(1) : Entretien avec Richard Copans (Les Films d’ici) Dans Le Documentaire, cinéma et télévision, de Didier Mauro, Dixit, 2005, p. 54.